Hommage à Clément Urrutibéhéty à l’occasion de ses cent ans
« Cent ans : quelle longue traversée de l’existence !
Né en 1913, six mois avant la Grande Guerre, dans ce début de 20ième siècle encore très empreint du 19ième, Clément Urrutibéhéty vit toujours dans un 21ième siècle plein de questions et d’incertitudes.
Mais il a su, au milieu des aléas de son siècle, trouver un solide fil conducteur : ses racines.
Clément Urrutibéhéty et José Ulibarrena.
Très tôt il s’intéresse farouchement à l’histoire de Saint-Palais et de la Basse-Navarre, ce qui fera de lui l’un des pionniers parmi les redécouvreurs du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Membre de la Société française des Amis de Saint-Jacques, il devient Président des Amis de Saint-Jacques en Aquitaine, puis en 1991 Président fondateur des Amis de Saint-Jacques des Pyrénées-Atlantiques dont se trouve ici même le siège d’origine. Cette dernière association s’occupe encore actuellement de l’accueil des pèlerins, avec une équipe de Saint-Palaisiens, dans l’ancien couvent des Franciscains.
Une solide formation classique (latin – grec) l’a ouvert à la compréhension de la quasi-totalité des documents concernant la Basse-Navarre et ses régions limitrophes écrits en vieux gascon ou en latin et qui dorment dans les archives départementales de Pau ou celles de Pampelune, et même à la Bibliothèque nationale. Pour lire les textes antérieurs au 17ième siècle il devient même paléographe ! Lecteur assidu de vieux textes, travailleur infatigable, Clément a été aussi par sa pratique de médecin de campagne un homme de terrain, alliant une profonde connaissance des hommes à celle des lieux et des chemins, ce qui lui a permis de recueillir selon son expression « la mémoire collective ».
Membre actif de nombreuses sociétés savantes comme les Amis du Musée Basque, Sciences, Lettres et Art de Bayonne, ou la Société de Borda de Dax, il publie aussi dans des revues telles Gure Herria, Jakintza ou Le Bourdon ; il érige des monuments : la stèle de Gibraltar, la colonne du carrefour Pelegrinia à Garris ou la borne de Pausassac à Sussaute ; il écrit des ouvrages dont vous pourrez vous procurer ici le dernier, « Terre des Basques, Terre d’accueil » véritable somme de tous ses travaux. Il participe à des colloques, anime des expositions comme celle d’art sacré en 1965, et des conférences annuelles au mois d’août, qui sont devenues traditionnelles.
Tout cela l’a conduit à connaître, répertorier et collectionner un grand nombre de traces du passé qu’avec une obstination et une détermination sans faille, il a voulu rassembler en un lieu. Ce fut fait en 1986, il y a donc 27 ans.
Il ne l’a pas fait seul : la municipalité et le maire de l’époque Bernard Lassalle, de nombreux collaborateurs et collaboratrices dévoués, au premier chef son épouse Jacqueline, ses enfants, en particulier Christine ; Madame Brion qui transformait ce lieu en une demeure accueillante sentant bon la cire, pendant que Francine Lesgar astiquait les finances de l’association, permettant ainsi de nombreuses acquisitions ; Francine Lesgar et le groupe Adin Ederra avaient déjà largement contribué au départ du musée. Gérard Benoît en établissait un inventaire précis et Bernard Larralde distribuait les affiches annonçant les conférences. Sans parler de tous les autres collaborateurs…
Par la suite ce lieu s’est enrichi : il a reçu des pièces de nombreux donateurs : carnets de Guillaume Apheça, collection Jean Urruty, fonts baptismaux ou bénitiers de prieurés-hôpitaux aujourd’hui disparus etc. C’est là tout l’intérêt d’un musée, offrir un réceptacle pour des vestiges qui ne se seraient pas conservés sans lui. Mais c’est aussi son devoir : en échange du don, on se doit d’assurer la pérennité.
Pendant que le cœur de Clément bat toujours tranquillement à Sainte-Elizabeth, ouvrons le nôtre vers lui en nous intéressant à son œuvre, c’est-à-dire cette collection qu’il a créée et qui dort ici. Chaque pièce de ce musée, qui pourrait paraître disparate, s’articule en fait avec une autre et la complète.
On pouvait lire dans un guide touristique du début du 20ième siècle : « Saint-Palais, sans intérêt pour le touriste ». Beaucoup plus récemment, dans une de ses dernières éditions, une brochure de grande diffusion, Le Petit Fûté, déclare : « Incontournable, le musée de Basse-Navarre et des chemins de Saint-Jacques, l’est à plus d’un titre. »
Examinons rapidement les différents thèmes exposés dans ce musée : il s’agit de la ville de Saint-Palais, de la Basse-Navarre, de l’art lapidaire, du mobilier et des outils traditionnels, enfin de quelques oeuvres d’art des 19ième et 20ième siècles.
1. Saint-Palais
Comme on peut le voir ici sur le blason de la ville, doté des chaînes de Navarre et coiffé de la couronne royale, Saint-Palais est une ville neuve (Irriberri en basque) créée au 13ième siècle.
Des copies de monnaies anciennes témoignent de la fondation de l’hôtel de la monnaie par le roi Charles II en 1351. Il renforçait ainsi son pouvoir personnel et l’importance économique de sa ville et de la Basse-Navarre.
Entre des toques de magistrat et la porte de la prison de Saint-Palais est évoqué le passé juridique. La petite cité fut en effet au 16ième siècle, après la partition de la Navarre, le siège de la chancellerie du royaume. Après la Révolution française, elle retrouve cette fonction. La juridiction de son tribunal s’étend alors jusqu’à Mauléon et comporte en 1825 seulement un juriste de moins qu’au tribunal de Bayonne.
Beaucoup plus proche de nous, la création du festival de la force basque en 1951 à Saint-Palais est rappelée par quatre sculptures contemporaines de José Ulibarrena.
Le musée fait une place aussi aux personnages marquants de la ville. On pourrait même dire que chaque rue de la ville, par son nom trouve un prolongement et une explication dans ce musée : les moulages de la « maison des têtes » évoquent le mariage à Saint-Palais en 1627 du grand écrivain basque Arnaud Oihenart avec Jeanne de la Salle d’Erdoy. Frédéric de Saint-Jayme, grand bienfaiteur de la ville, pour ainsi dire émir du Qatar avant l’heure, mais issu quant à lui d’une vieille famille navarraise, fut le mécène de la pelote basque et du monde équestre florissant à l’époque en Amikuze. La casaque de son jockey en porte un témoignage émouvant.
2. La Basse-Navarre
Des outils de la préhistoire de plus de cent mille ans jusqu’aux hachereaux polis du néolithique collectés patiemment par M. Lapenu, montrent l’ancienneté de l’habitat dans ce territoire.
La présence romaine est illustrée par quatre très intéressants moulages d’autels votifs ou de plaques commémoratives.
Le musée réserve une place conséquente aux châteaux et mottes féodales du Moyen Âge mais il présente surtout, thème cher au Dr. Clément Urrutibéhéty ces villes neuves créées au 13ième siècle par la volonté du roi comme à Saint-Palais ou de seigneurs locaux comme à Ostabat ou à Bergouey-Villenave.
Les chemins de Saint-Jacques y sont bien documentés et notamment la confluence des voies de Tours, de Vézelay et du Puy au pied de la colline de Soyharze. Le musée s’intéresse aussi aux nombreux hôpitaux qui s’égrenaient le long de ces voies de pénétration et aux fameux donats mi laïcs mi religieux qui permettaient à ces formations hospitalières de remplir leur fonction au service des pèlerins mais aussi des pauvres et des voyageurs impécunieux.
Les frontières du royaume sont illustrées par le moulage de bornes posées en 1395 pour mettre fin au conflit de pacages entre Béarn et Navarre.
A partir du 17ième siècle la culture du maïs entraîne une extension de l’habitat et une croissance de la population dont le résultat est au 19ième siècle l’émigration en Argentine, en Uruguay puis en Californie. Les carnets de Guillaume Apeça, agent d’émigration, recueillis par le musée apportent un éclairage très intéressant à ce phénomène.
3. L’art lapidaire
L’habitat basque s’est depuis longtemps organisé entre la maison, entité immuable, transmise par primogéniture à l’héritier ou l’héritière qui a en charge les maîtres vieux mais qui doit veiller aussi sur les cadets. Le corollaire de l’etxe est l’hil harriak, le cimetière. L’art lapidaire s’inscrit d’une part sur les linteaux des maisons des portes et fenêtres, mais aussi dans le cimetière, sur les stèles discoïdales qui se déploient surtout au 16 et 17ième siècles et auxquelles ont succédé les croix bas-navarraises. Une dizaine de moulages de linteaux, plus de 20 moulages et presque autant de stèles authentiques sont exposés. Copiés par moulage par M. Buchelli depuis la Soule jusque dans les vallées les plus reculées de Basse-Navarre, ils forment un ensemble particulièrement représentatif des différents styles de l’art lapidaire qu’on peut rencontrer dans les cimetières et sur les maisons.
Ces stèles discoïdales présentent souvent des outils et autres ustensiles qui ont marqué la vie du défunt. Le musée accorde d’ailleurs une large place au mobilier et aux objets usuels.
4. Le mobilier et les outils
Face à nos meubles modernes qui passent quelque temps dans nos demeures entre la grande surface et la déchetterie, ici armoires, coffres, berceau, égouttoir et même coffre-fort témoignent de la permanence dans les traditions familiales. Outils de sandaliers, de sabotiers, de forgerons, d’ébénistes, de tisserands, ruches d’apiculteurs, etc. complètent cette collection où les instruments aratoires sont dominés par la charrue bas-navarraise (golde nabar) que l’on retrouve sur le linteau d’une maison et sur plusieurs stèles discoïdales.
5. L’art contemporain
Les personnalités pleines d’un amour passionné pour leur terroir sont destinées à se rencontrer. C’est ainsi que Clément noue depuis longtemps une amitié forte avec le sculpteur José Ulibarrena, lui-même créateur d’un musée ethnographique en Haute-Navarre. L’artiste jouit d’ailleurs d’un prestige incontestable de l’autre côté des Pyrénées et des expositions dans des lieux remarquables de la capitale navarraise ou ailleurs ont été organisées pour présenter ses œuvres. Cette longue amitié permet de présenter ici dix sculptures de l’artiste qui viennent, par leur puissance émotionnelle et suggestive, renforcer les différents thèmes du musée. Ainsi, saint Jacques pèlerin, soka tira, le leveur de pierre, la fraternité etc..
6. Deux tableaux remarquables
Un tableau d’Hélène Elizaga qui vécut entre 1896 et 1981 représente une partie de pelote en place libre. Il appartenait au grand pelotari saint-palaisien Jean Urruty. Il s’agit du style pictural de Ramiro Arue qui était son ami. Elle connut ses premiers succès à l’Exposition Internationale de Paris en 1937. Deux de ses œuvres sont exposées au Musée basque de Bayonne..
L’autre tableau intéressant est une œuvre d’Ernest Bordes donnée par sa famille. Ce peintre qui avait ses attaches à Orion et Andrein près de Sauveterre-de-Béarn a vécu entre 1852 et 1914. Il était l’ami et le disciple de Léon Bonnat. Une de ses œuvres se trouve au Musée d’Orsay et une autre à l’Assemblée Nationale. Le tableau représente une procession sur fond de chaîne des Pyrénées telle qu’elle est visible à Orion. L’un des pèlerins porte un mantelet orné de coquilles. Une copie de ce tableau s’est vendue aux enchères en 2011 à la maison des ventes Joël Léonard de Melbourne en Australie !
Il faut espérer que, quoi qu’il arrive, la collection Clément Urrutibéhéty ne soit pas oubliée, voire dispersée car cette œuvre est une chance pour Saint-Palais et la Basse-Navarre.
Merci Clément pour votre œuvre et merci à tous ceux qui vous ont aidé à la réaliser, et à ceux qui la conserveront et l’enrichiront.
Bon anniversaire Clément ! »